Mais qu'est-il arrivé à OGame, le roi des jeux par navigateur ? (2024)

On l'a lu ici ou : l'industrie du jeu vidéo est l'une des grandes gagnantes du confinement, et pour cause. Durant cette période où le port du jogging était socialement acceptable en journée et le footing assez pratiqué pour devenir partiellement illégal dans la capitale, le jeu vidéo constituait un remède idéal contre l'isolement. Et si l'on a beaucoup entendu parler d'Animal Crossing : New Horizons, Final Fantasy VII Remake ou Ring Fit Adventure, d'autres titres ont plus modestement tiré leur épingle du jeu. C'est le cas d'OGame, sorti en France en 2004 et pris d'assaut par une horde de nostalgiques claustrés à leur insu.

Mais de quoi s'agit-il, au juste ? Imaginé et développé en intégralité par Alexander « Legor » Rösner, étudiant allemand qui « avait du temps à tuer », OGame est un jeu de stratégie spatial où l'objectif est de conquérir l'univers en élaborant la tactique la plus optimale d'un point de vue économique et militaire. Avant de devenir une success story, le projet a d'abord une finalité pratique à une époque où le modem 56k règne en maître sur le marché. « Ce qui me gênait dans les jeux sur navigateur de l'époque, c'est qu'ils avaient d'énormes problèmes de serveur, se remémore Alexander Rösner. Il était régulièrement impossible de se connecter. Or sur OGame, nous avons assez rapidement trouvé une solution pour permettre à un grand nombre de joueurs d'accéder aux univers. Et c'est d'ailleurs l'une des raisons pour lesquelles il a connu un succès aussi rapide ». D'abord lancé en Allemagne, le titre s'est exporté aux quatre coins du globe. En 2017, l'éditeur du jeu Gameforge revendiquait plus de 70 millions d'inscriptions en quinze ans.

Qu'est-ce qui se passe dans l'espace ?

Pourtant, dans son approche, OGame est d'une banalité absolue. En créant votre compte, vous héritez d'une planète placée aléatoirement dans l'univers ainsi que d'une poignée de matières premières. Votre première mission ? Construire des bâtiments afin de collecter des ressources qui serviront, à terme, à développer d'autres installations, technologies, vaisseaux de combat ou unités de défenses. Et les moyens d'accroître vos revenus ne manquent pas : vous pourrez piller vos voisins, explorer les « profondeurs de l'espace » afin de collecter vaisseaux et matières premières ou coloniser d'autres planètes. La particularité d'OGame ? C'est un monde persistant. C'est à dire qu'il ne s'arrête jamais de tourner ni d'évoluer, même en votre absence.

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Seulement voilà : né à l'ère Caramail, MSN Messenger et plus globalement de l'accès à Internet réservé à une poignée d'individus, OGame est lent. Très lent. Chaque construction ou recherche dure entre quelques minutes et plusieurs semaines, selon votre avancée. OGame récompense donc régularité, rigueur, planification et investissem*nt sur le long terme. Pour croître, il faut se connecter régulièrement et à des timing bien précis. Quand la construction d'un bâtiment touche à sa fin, par exemple, pour lancer l'amélioration dont la durée excédera la précédente. Comme un jeu de plateau sans fin, où vous devez avancer d'une case ponctuellement jusqu'à atteindre le stade où vous avez oublié pourquoi vous avez lancé la partie à la base, tant elle est devenue interminable et rythme votre quotidien. « Quand j'étais étudiant et que j'ai commencé à bosser, [OGame] avait une grosse place, essentiellement parce que j'étais loin de mon foyer et que je n'avais pas réellement d'autres choses à faire, raconte « Nikopol », ancien membre de l'équipe d'OGame France. À mon apogée, j'étais disponible 18h par jour, sans forcément être collé à l'écran tout le temps (…) ça m'a attiré quelques emmerdes, j'ai fait de grosses pauses, mais je finis toujours par reprendre. Le problème de ce jeu c’est que je m’y suis fait énormément de potes, IRL aussi. »

Dans le jargon, cette forme de gameplay routinière porte un nom : « easy-in, easy-out ». « Les joueurs se connectent plusieurs fois dans une journée pour prendre des décisions produisant des résultats après une certaine période de temps puis ne reviennent que plus tard pour prendre un nouvel ensemble de décisions, explique la chercheuse Marion Garnier. C’est en cela que la gestion et la stratégie sont particulièrement adaptées à ce support. Ces jeux sont donc généralement pensés pour le long terme et les motivations à jouer partiellement différentes des jeux de combats ou de plateforme, stéréotypes du jeu vidéo. »

Empereur à temps partiel

Techniquement, il est impossible de réellement perdre ou gagner sur OGame, puisqu'il n'y aucune limite à ce que l'on peut entreprendre. De fait, l'investissem*nt varie selon les profils : entre cinq minutes pour les plus « casuals » et 18h par jour pour les plus ambitieux, qui optimisent chaque prise de décision avec un objectif en tête : atteindre le sommet du classem*nt général. « La compétition pourrait y paraître moins importante que dans d’autres types de jeux car les jeux par navigateur sont majoritairement concentrés autour des mécaniques Joueur contre l’Environnement (JcE) » explique Marion Garnier. « Si la compétition y est à première vue moins explicite, elle n’est cependant pas absente mais elle est alors lente et basée sur la stratégie, par opposition aux jeux rapides et basés sur la dextérité. »

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Excel, mon amour

Vous l'aurez compris : le but est d'être plus malin que son voisin, et les subtilités du jeu permettent l'éclosion de multiples stratégies. Pendant que certains fanatiques d'Excel privilégient le développement économique en prenant en compte chaque variable pour optimiser leur production, d'autres surveillent un ennemi pendant des semaines pour prédire le moment où il aura la malheureuse idée de prendre l'apéro. « Je pense que le gros point fort d'OGame sont les sensations fortes qu'il procure, estime le responsable de signalements des bugs chez Gameforge. « C'est quelque chose que l'on ne trouve plus vraiment dans d'autres jeux. On construit son compte sur plusieurs années, en essayant de sauver sa flotte jour après jour, pour ne pas se faire laminer et tout perdre d'un coup... et c'est précisément ce qui compte. On peut tout perdre d'un moment à l'autre. »

Premier contact

Mais comment l'éditeur parvient à convaincre des joueurs d'investir des années de leur courte existence dans un titre où il se passe finalement peu de choses ? En misant sur la dimension communautaire ainsi qu'en favorisant les rapprochements. « La plupart des contenus permettent des interactions sociales avec d'autres joueurs, rappelle un salarié. « Cela va du PvP au commerce, en passant par la messagerie et la création d'alliances ». Et ce n'est pas une surprise, car la majorité des concurrents misent aussi sur cet atout pour perdurer. « Les jeux par navigateur attirent un large public et doivent motiver durablement à jouer » précise Marion Garnier. « Les jeux par navigateur sont en premier lieu appréciés à cause des relations sociales que l’on peut y tisser dans le cadre du gameplay ainsi qu’à cause des caractéristiques spécifiques en termes de temps et de flexibilité ».

Pour Gameforge c'est du pain béni. On a un staff corvéable « non rémunéré » qui ne fait pas partie de ses effectifs et ne compte pas ses heures.

Nikopol, ancien modérateur d'OGame France

L'échange est permanent que ce soit pour le commerce, les raids ou la diplomatie. Résultat, la majorité des joueurs se regroupe au sein d'alliances pour accomplir leurs objectifs et tissent des liens durables, dépassant parfois le cadre du jeu, avec leurs partenaires. Les forums du début des années 2000 où chacun postait ses exploits en abusant du Comic Sans Ms ont été remplacés par des serveurs Discord, mais l'esprit reste le même. Pour « Néné », l'un des administrateurs d'OGame France, c'est ce qui a rendu le jeu si populaire en France il y a 18 ans : « À l'époque, [OGame] poussait les joueurs à se rapprocher. Il n'intégrait pas de logiciel de communication, tout devait se faire via des outils tiers de chat en ligne/forum et ça a rapproché énormément de personne au fil des années. IVL (in virtual life) comme IRL (in real life). »

Gameforge informe plus qu'elle ne questionne.

Néné, administrateur d'OGame France

Interstellarriviste

Bien qu'assez confidentiel, OGame n'est pas épargné par les dérives. La première concerne la gestion quotidienne, assurée par une équipe de volontaires (pour ne pas dire bénévoles) rétribués en coupons de monnaie virtuelle valables sur les jeux Gameforge. Un bien maigre salaire pour ces passionnés, alors que le CA de la société allemande (qui communique peu sur ses chiffres) dépassait les 140M d'euros en 2011. « Pour Gameforge c’est du pain béni, soupire Nikopol. « On a un staff corvéable « non rémunéré » qui ne fait pas partie de ses effectifs et ne compte pas ses heures. C’est aussi des joueurs qui connaissent le jeu et ses mécaniques donc ils connaissent les subtilités. Rien que pour ça la communauté y trouve aussi son compte. Les gens en face savent de quoi on parle. ». Pire : l'équipe n'entretient que peu de contacts avec la maison mère. « Gameforge informe plus qu'elle ne questionne, explique Néné. Ses communications servent avant tout à donner les annonces et les dates. L'avis des équipes locales se limite bien souvent aux choix des caractéristiques du nouvel univers ou encore, parfois, une consultation sur un point qu'elle respectera ou pas, à sa guise. Le reste, c'est à dire équilibrage, version etc. c'est uniquement de l'information, souvent au dernier moment. » Une communication descendante calquée sur la stratégie appliqué au siège, basée à Karlsruhe. Les grandes orientations sont fixées par une poignées de développeurs, sans concertation. « Les community managers et employés n'ont pas non plus leur mot à dire sur la vision du jeu. Ils doivent exécuter les tâches qu'on leur demande » souligne Néné.

Le staff d'OGame France endosse, souvent à contrecœur, le costume de porte-parole de l'éditeur pour annoncer les mauvaises nouvelles et gérer les mécontents. «Au fil des mises à jour, des démissions massives ont eu lieu au sein du staff, raconte Nikopol. Ceux qui sont restés ont avancé un argument légitime : Gameforge peut dépêcher des membres d’autres communautés pour les remplacer. Des gens qui ne connaissent pas le jeu. On aurait une réelle indépendance ou impartialité, mais pas forcément des décisions plus bénéfiques pour la communauté.»

Free-to-play ascendant pay-to-win

Vous l'aurez deviné, ces mises à jours controversées ne visent pas à simplement corriger des bugs. Mais plutôt à incorporer de plus en plus de fonctionnalités en échange d'antimatière, la monnaie virtuelle d'OGame. L'utilité ? Construire plus rapidement, booster la production, déménager des planètes ou échanger des ressources dont on a pas l'usage pour en récupérer d'autres. En bref : sortir sa carte de crédit pour disposer d'un avantage stratégique sur la concurrence. Si Gameforge a fondé une partie de son succès sur le free-to-play, il a graduellement enclenché sa mutation au risque de mettre en péril l'équilibrage de sa création. « J'imagine qu'on peut qualifier OGame de pay-to-win » juge Néné, avant de tempérer son propos : « L'antimatière a un impact, c'est indéniable. Mais il n'y a pas vraiment de « win » sur OGame. Si on vise le classem*nt, sans antimatière, c'est compliqué en effet. Mais si on a d'autres objectifs, comme développer son compte tranquillement, alors les options ne sont absolument pas un problème puisque aucune fonctionnalité n'est bloquée ».

Rendons à César ce qui est à César : OGame n'a jamais basculé dans le freemium, populaire sur le marché des jeux mobiles et consistant à tronquer une partie de l'expérience pour inciter l'utilisateur à payer. Peut-être car l'éditeur n'a jamais réussi à prendre le virage du mobile justement, ou parce qu'elle tient à son modèle originel. « Ça reste une entreprise, bien évidemment » rappelle Néné. « Mais je défendrai toujours l'idée qu'elle n'est pas si sale que ça (…) C'est une entreprise web de 2002, je pense qu'elle a donc une certaine pudeur dans ce domaine. »

La transformation du modèle économique n'a pas tué le jeu, mais a compromis sa survie. Au départ, chaque nouveau serveur attirait une dizaine de milliers d'âmes en l'espace de quelques heures. Ce n'est plus le cas aujourd'hui, et l'évolution du marché et de la manière dont on consomme le jeu n'expliquent pas tout. « Lorsque Gameforge a commencé à introduire de nouvelles options payantes, il y a eu une grosse fracture entre ceux qui voulaient que ça reste quasi gratuit et ceux qui y voyaient une évolution naturelle. À partir de là, mon impression de joueur est que la communauté a été divisée par deux. » estime Nikopol. « Gameforge est en droit de chercher à tirer le maximum de profit du concept, mais l'histoire a montré qu'elle ne fait que détruire le jeu à petit feu en essayant d'en sortir ses marrons. »

Faut-il l'enterrer pour autant ? Malgré sa tendance à vouloir nous faire les poches, Gameforge a le mérite d'avoir tenté d'évoluer avec son temps. En augmentant la vitesse de production et des flottes sur ses nouveaux serveurs, par exemple, ou en ajoutant un système de classes ainsi qu'un marché pour apporter du dynamisme. « Quelqu'un qui joue à OGame aujourd'hui sans y avoir rejoué depuis 2007 n'est pas en face du même jeu, même au delà des classes et du design. Idem pour quelqu'un ayant arrêté en 2012. » soutient Néné. Au point de vivre encore de nombreuses années ? « Cela fait 13 ans qu'on annonce sa mort. Mais il est toujours là. Gameforge semble vouloir le maintenir encore donc on verra bien. Je ne parierais pas sur lui encore dix ans, mais, sait-on jamais. À la base, je n'aurais pas parié dessus pendant 20 ans non plus, et pourtant on y arrive. »

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